lundi 15 décembre 2014

Salle de l'attente, paysage noir










Deux regards






Notre travail s’inspire du livre « La guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch.
Une immersion dans les mots et l’intimité de femmes, qui racontent leur vie sur le front lors de la seconde guerre mondiale, lorsqu’elles étaient jeunes filles.

Il est question du silence.
Celui dans lequel elles étaient après la guerre à ne pouvoir raconter cela à personne. Le silence de la parole tue. Le silence dans lequel on est après la lecture, seul.

Il est question de féminité.
Celle de ces femmes qui parlant de guerre ne parlent pas de faits d’armes mais de l’intime de leur vécu.

Il est question du temps.
Le temps entre la fin de la guerre et le moment où les femmes se mettent à parler. Les sept années d’enquête de S.A. avant d’écrire le livre. Le temps qui sépare la vieille femme qui parle de la jeune fille qu’elle était. Nos quatre années plongées dans nos recherches.

Il y a les carnets, nombreux, que Svetlana Alexievitch a remplis de leurs mots, de ses propres réflexions.
Il y a nos carnets volontairement laissés inachevés. Un travail toujours en train.

Il est question des traces laissées par la guerre.
Les blessures qui perdurent et avec lesquelles il faut vivre. Blessures physiques et blessures intérieures.
Blessures faites à la nature, très présente dans les témoignages.

L’archive est mise en question.
Archive publique, archive privée. L’archivage des notes d’enquête de S.A, nos propres archives de recherches : gestes, photographies, notes, matières.

Une dramaturgie de l’archive.
Nous voulons la montrer dans son mouvement même, quand elle remonte à la surface.
Nous la travaillons par couches. La strate, le feuilleter, la surimpression, les vêtements pliés posés. 

Une dialectique entre montrer et cacher.
Nous esquissons une humanité dans les plis et les replis, avec ses zones d’ombre, ses failles.

Un de nos matériaux principal est le textile, le vêtement et la fibre. 
L’enveloppe et notre chair à l’intérieur, qui nous fait tenir debout. Les bandes de gaze nous permettent de parler de la chair sans la montrer.

Parler de ce livre de témoignages lu et relu chacune de notre côté ou ensemble jusqu’à l’élimer comme un vêtement trop porté, au bord de l’usure.
Sans préméditation notre cheminement dans ce travail rejoint celui de Svetlana Alexievitch.

Une densité noire et lumineuse.
Dans l’espace que nous avons construit, on entre comme dans un carnet, dans une position de chercheur, de questionnement et de réflexion.

Lorsque le public pénètre dans l’installation en quittant la salle des archives, il est encore dans les carnets. Seul et avec les autres, avec son corps, ses souvenirs des lectures précédentes.
Les vêtements au sol suggèrent des corps et soudain sur la pointe des pieds des corps sont là, debout.

Il entre dans une pièce. C’est dans un paysage qu’il pénètre.
La présence corporelle du public fait bien sûr partie du tableau que nous voulons créer, la salle de l’attente, paysage noir.

La particularité de ce travail plastique est qu’il est fait à quatre mains.

Deux femmes se rencontrent
Deux regards
Deux sensibilités
Qui vont s’approprier les mots d’autres femmes

Nous touchons là, à une matière sensible dans laquelle nous avançons par expérimentations donnant lieu à différentes formes qui résonnent entre elles.

Nous tirons les fils infinis de ces textes.





Les carnets








Extrait